Passion Sculpture, René de Saint-Marceaux.
Exact contemporain d’Auguste Rodin ( 1840-1917), René de Saint-Marceaux (1845-1915) a vécu une période artistique en pleine expansion et en renouvellement total, en peinture avec le mouvement des Impressionnistes et en sculpture avec la rupture incarnée par Rodin. Les deux hommes ont collaboré puis se sont éloignés dans leurs recherches respectives. Tous deux ont profité du contexte favorable à la statuaire. Comme le Moyen-Age a vu l’utilisation des figures de pierre des cathédrales pour inculquer et fortifier la religion catholique, la IIIe République a encouragé les artistes statuaires à peupler les façades, squares, tous les lieux et bâtiments publics, des grands personnages symboles des principes fondamentaux du nouveau régime politique : solidarité, progrès, laïcité…
Saint-Marceaux n’était pourtant pas destiné à devenir sculpteur. Ses parents, à la tête d’une prospère maison de vins de champagne, envisageaient plutôt qu’il succède naturellement à son père et dans ce but, lui font suivre des études commerciales. De santé fragile et de tempérament rêveur, le jeune René s’ennuie et délaisse son lycée rémois ; il vagabonde et fait l’école buissonnière. Après un essai aussi peu concluant en Allemagne, sa famille accepte, en désespoir de cause, de prendre au sérieux la révélation de sa vocation et le laisse partir à Paris suivre l’atelier de sculpture de François Jouffroy (1806-1882) .
Sa carrière est toute en surprises, revirements inattendus, paradoxes. Pourtant, la postérité n’a retenu de lui que ses œuvres les plus classiques, les plus conformistes, et n’a de lui que des images (tableaux ou photos) lisses, sans aspérités, irréprochables. Lui, le « boueux » qui travaille les mains dans la glaise nous apparaît toujours tiré à quatre épingles.
La personnalité complexe de Saint-Marceaux se cache derrière cette apparence impeccable, cette réputation de bourgeois qui se distrait en pratiquant une sculpture conformiste, et pour retrouver la sensibilité de l’artiste, l’évolution de ses idées, ses recherches techniques, nous devons découvrir les éléments enfouis sous les strates du temps, fouiller les archives, convoquer des documents personnels pour avoir une représentation plus juste de l’artiste René de Saint-Marceaux et de la véritable signification de ses œuvres, à partir de la vision de la totalité de ses œuvres.
René de Saint-Marceaux n’a pas laissé une très grande production ; il n’avait pas les ateliers et les dizaines de praticiens que possédait Rodin mais ses œuvres regardées attentivement nous dévoilent des qualités qui sont passées inaperçues. Ses talents ne se sont pas cantonnés à la sculpture classique comme nous le présentent les documents d’hier et d’aujourd’hui qui copient ceux d’avant-hier sans discernement ; il s’est tourné vers la stylisation, le symbolisme, l’intériorité ; il a tenté des techniques nouvelles comme la fonte à cire perdue ; il a osé des incursions, totalement occultées et oubliées, dans les Arts décoratifs, dans la publicité de l’époque.
Les « petits maîtres » de la peinture sont écrasés par les Manet, Monet, Renoir, Chagall, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Picasso, Matisse. La sculpture, elle, est laminée par Auguste Rodin qui s’est attribué toutes les « découvertes », fort de son talent, certes, mais aussi de ses scandales – on a oublié ceux de Saint-Marceaux, c’est curieux – et de son tempérament emporté. Saint-Marceaux souffrait trop souvent de ses rhumatismes articulaires pour gaspiller sa force créatrice. Comme François Pompon, son praticien et ami, et beaucoup d’oubliés de talent, René de Saint-Marceaux nous a laissé une œuvre foisonnante à redécouvrir.